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Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/114

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LES EXILÉS


Chaste et vierge, oublier les liens qui l’étreignent,
Et sentir qu’à ses pieds se déchire un abîme
Et que son pouls s’arrête et que ses yeux s’éteignent
Et que la mort tressaille en son cœur magnanime ;

Si, meurtrie et glacée, au monde évanouie,
Le sein brûlé des feux de ses pleurs solitaires,
Elle n’adore pas la douleur inouïe
Dont les ravissements courent dans ses artères,

Eh bien, que celle-là, promise à l’hyménée,
Reste dans la maison où son devoir l’attache,
Et, souriante, près d’un jeune époux menée,
File pensivement une laine sans tache !

Elle n’entendra pas les plaintes de la lyre,
Et son pied, plus vermeil que la rose naissante,
N’abordera jamais sur un léger navire
La Cythère adorable et toujours gémissante.

Mais vous, de vos grands cœurs, du vol de vos pensées,
Vous dont les doigts charmants ne filent pas de laine,
Suivez jusqu’à l’éther les ailes élancées,
Ô vierges sans souillure, orgueil de Mitylène !

Et dites au ruisseau dont la voix se lamente
Que rien n’est plus martyre après la Poésie,
Et qu’il n’est pas de flot pour rafraîchir l’amante
Dont la bouche brûlante a goûté l’ambroisie !