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Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/156

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LES EXILÉS


Comme à présent la pourpre est une chose vile
Que les passants haineux peuvent injurier,
Je montrerai la mienne à ce troupeau servile :
Je veux ma part de honte et ma part de laurier.

Ma place est près de ceux qui sur leur sein d’ivoire
Étalent, sans souci du railleur odieux,
Ce lambeau d’écarlate auguste et dérisoire
Qui désigne ici-bas les bouffons et les Dieux.

Pour si peu qu’il leur reste un éclair de génie
Dont les buveurs de flamme un jour s’enivreront,
Je veux, je veux ma part de leur ignominie ;
Je veux porter comme eux de la boue à mon front.

Je ne suis pas celui qui peut goûter la gloire
Loin des miens, et me plaire aux loisirs du vainqueur,
Lorsque derrière moi, dans l’ombre épaisse et noire,
On foulerait aux pieds ces morceaux de mon cœur.

Ainsi, ne tentez pas mes heures de délire,
Foyer, chaste bonheur qu’envierait ma raison !
Je mêle mes fureurs aux sanglots de la lyre ;
Je n’ai pas de famille et n’ai pas de maison.

Ma maison, c’est le roc aimé des tourterelles,
La grotte dont le lierre a tapissé le mur,
C’est le palais empli de joie et de querelles
Dont le dôme est bâti de feuillage et d’azur.