Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
166
LES EXILÉS


Je n’étais qu’un enfant joyeux
Lorsque tu vins, armé de l’arc mystérieux :
Alors je te suivis des yeux.

Et, tel que les héros à la belle chaussure,
Toi, tu lançais d’une main sûre
Les traits dont l’univers adore la blessure.

Savant artiste, comme moi
Tu chéris l’harmonie et son étroite loi :
Elle eut les trésors de ta foi.

Ô prodige inouï ! magnifique mystère !
Malgré ses liens, l’Ode austère
S’envole, et ses pieds blancs ne touchent pas la terre.

Qu’un esprit saturé de fiel
Boive à sa coupe, où brille un vin substantiel,
Elle l’emporte au fond du ciel.

En vain ses préjugés aiguillonnaient ses haines.
C’en est fait, il n’a plus de chaînes :
Tu le sais, fils béni de la mer et des chênes !

Ô Brizeux, nous pouvons mourir
Seuls, avant d’avoir vu les roses refleurir !
Mourons sans pousser un soupir.

Amoureux du vrai bien, notre lyre sonore
Saluait le feu qui colore
Au lointain rougissant la merveilleuse aurore.