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Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/33

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LES EXILÉS

Noir, sa tanière au front obscur lui ressemblait.
Les ténèbres et lui se parlaient. Il semblait,
Enfoui dans l’horreur de cette prison sombre,
Qu’il mangeait de la nuit et qu’il mâchait de l’ombre.
Hercule, que sa vue importune lassait,
Se dit : Je vais serrer son cou dans un lacet ;
Ma main étouffera ses grognements obscènes,
Et je l’amènerai tout vivant dans Mycènes.
Et le héros disait aussi : Qui sait pourtant,
S’il voyait dans les cieux le soleil éclatant,
Ce que redeviendrait cet animal farouche ?
Peut-être que les dents cruelles de sa bouche
Baiseraient l’herbe verte et frémiraient d’amour,
S’il regardait l’azur éblouissant du jour !
Alors, entrant ses doigts d’acier parmi les soies
Du sanglier courbé sur des restes de proies,
Il le traîna tout près du lac dormant. En vain,
Blessé par le soleil qui dorait le ravin,
Le monstre déchirait le roc de ses défenses.
Il fuyait. Souriant de ces faibles offenses,
Hercule, soulevant ses flancs hideux et lourds,
Le ramenait au jour lumineux. Mais toujours,
Attiré dans sa nuit par un amour étrange,
Le sanglier têtu retournait vers la fange,
Et toujours, l’effrayant d’un sourire vermeil,
Le héros le traînait de force au grand soleil.


Décembre 1862.