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Page:Banville - Œuvres, Les Exilés, 1890.djvu/40

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LES EXILÉS

Et pareille aux brebis errantes d’un troupeau.
Sur sa crinière fauve et sur sa blanche peau
De tremblantes lueurs couraient, surnaturelles.
Entre ses pieds ouverts dormaient deux tourterelles.
Le radieux sourire en pleurs du jour naissant
Folâtrait sur son corps de vierge éblouissant,
Et la nuit du feuillage et l’ombre des érables
Y caressaient, depuis les masses adorables
De la blonde toison jusqu’aux divins orteils,
Les touffes d’or, les lys vivants, les feux vermeils.
Éros la vit. Il vit ces bras que tout adore,
Et ces rougeurs de braise et ces clartés d’aurore ;
Il contempla Cypris endormie, à loisir.
Alors de son désir, faite de son désir,
Toute pareille à son désir, naquit dans l’herbe
Une fleur tendre, émue, ineffable, superbe,
Rougissante, splendide, et sous son fier dessin
Flamboyante, et gardant la fraîcheur d’un beau sein.
Et c’est la Rose ! c’est la fleur tendre et farouche
Qui présente à Cypris l’image de sa bouche,
Et semble avoir un sang de pourpre sous sa chair.
Fleur-femme, elle contient tout ce qui nous est cher,
Jour, triomphe, caresse, embrassement, sourire :
Voir la Rose, c’est comme écouter une lyre !
Notre regard ému suit le frémissement
De son délicieux épanouissement ;
Sa chevelure verte avec orgueil la couvre.
Quand nous la respirons, elle est pâmée, et s’ouvre :