Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas tremblé dans sa main. Que lui importe qu’un mortel de plus ou de moins traîne le rude fardeau de cette vie et, comme un collier de perles fausses, enfile des mots inutiles ? L’important pour lui, c’est de savoir si l’ablette mordra ou ne mordra pas. Il pêche ; il est là, il y a toujours été ; il était là sous le règne de Charles X, et il est facile de deviner qu’il y sera toujours.

Il a vu passer les républiques, les empires ; il a entendu les chants de joie des fêtes, les rires éclatants des jeunes filles, et le bruit de la fusillade et les galops des lourds cavaliers sur le pavé sonore. Un jour, il a vu dans le ciel une grande lueur rouge et rose, quand Paris brûlait ; mais il n’a pas cherché à savoir ce qui brûlait. Dans notre époque fiévreuse, où le drame est emporté à travers d’innombrables changements à vue exécutés par un machiniste pareil à une horloge détraquée, seul le Pêcheur à la ligne n’a modifié ni sa fonction ni son attitude. Il pêche à la ligne, et en lui se résument désormais l’esprit de suite et l’invincible continuité de l’âme française.


LVIII. — ESPAGNE

Au bal donné par madame la duchesse de Fernan-Nunez pour l’inauguration des salons de son nouvel hôtel, tandis que S. M. la reine Isabelle fait son entrée