Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au bras de l’ambassadeur d’Espagne, et qu’on admire sous leurs riches toilettes madame Velasco en rose pâle, madame la marquise de San Carlos avec le diadème au front, mesdames Penalver, de Cartagena, d’Urribaren, cent autres beautés triomphant dans le resplendissement des lumières, et les cavaliers aux habits couverts d’ordres et de plaques, — le poète ne se lasse pas de considérer deux hommes qui par leur aspect d’une originalité étrange et saisissante tranchent sur tous les autres.

L’un, qui ressemble au regretté et spirituel dessinateur Cham, et dont les moustaches se dressent furieusement, est maigre comme une latte, et dans ses yeux doux et bienveillants éclate la téméraire bravoure. L’autre, presque enfant encore, pâle sous sa longue chevelure noire, fort comme un lion et beau comme un dieu, a des regards chargés d’amour, de désir, traversés d’éclairs, brûlants d’une flamme irrésistible, et ses lèvres, que caresse à peine un léger duvet, sont comme des fleurs de pourpre. Sur son passage toutes les femmes, princesses, duchesses, jeunes filles aux fronts ingénus tressaillent comme des roses sous le vent d’orage ou comme des oiseaux palpitants et fous dans la nue électrique. Ces deux hommes, le poète les suit d’un œil curieux et ravi, mais il ne songe nullement à s’informer de leurs noms ; car ces noms mêmes peuvent avoir été changés par des événements de famille ou par le caprice des rois ; mais comment lui, poète, pourrait-il méconnaître, en ces deux figures héroïques, un descendant du