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LXIX. — LA CACHETTE

— « Non, Agénor, mon cher petit mari, tu ne sauras jamais à quel point je suis fidèle ! » dit la jolie madame Léontine Astiés, dont la brune chevelure, qui s’éparpille sur l’oreiller, chatouille le nez du percepteur des contributions, en même temps que ces douces paroles lui chatouillent le cœur. — « Pour moi, ajoute l’aimable rieuse au nez retroussé, tout homme qui n’est pas toi me fait l’effet d’un crapaud. Ainsi comprends-tu qu’on puisse aimer un lancier, comme le font tant de dames de la ville ? Ah ! si un lancier devait seulement baiser le bout de mon gant, même quand je l’ai ôté, je préférerais être coupée en petits morceaux ! »

Le front et les cheveux mille fois baisés pour cette bonne parole, Léontine se lève et passe un peignoir ; cependant Agénor ne se lasse pas de répéter : — « Ah ! quel bonheur d’avoir une femme si fidèle ! » Mais bientôt cette exclamation ne lui suffit plus ; il monte en pied sur le lit, et dans son extase, bondissant et sautant en mesure, se met à chanter sur l’air des Lampions : « Si fidèle ! si fidèle ! si fidèle ! » Alors la violence de sa chorégraphie décroche le ciel du lit, qui subsistait seul au plafond, les rideaux ayant été récemment enlevés, et dans un nuage de poussière, avec ce ciel de lit qui leur servait de cachette, pareilles à un vol de papillons et