Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Théophile Gautier ? La nature rappelle toujours au poète le plus barbu qu’il est femme par quelque bout, et c’est là une de ses plus puissantes ironies.


36. — MIMI

C’est l’enfant, morte si jeune, que Mürger a fait vivre pour jamais dans les Scènes et dans la comédie de La Vie de Bohème. J’ai connu à l’hôtel Merciol, dans la rue des Cannettes, cette douce et tremblante héroïne, qui a eu, comme les Laure et les Béatrice, la gloire de rencontrer un amant qui pouvait lui donner l’immortalité. Elle était mince, fluette, transparente, toute petite : la bonne déesse Pauvreté, dont parle George Sand, lui avait donné un si rude baiser que ses pauvres lèvres en étaient restées glacées et blanches. Elle était née avec une tête rieuse, gaie, avec le nez retroussé, les yeux bleu tendre et la bouche en arc des fillettes de Greuze ; mais la Souffrance avait jeté sur tout cet ensemble de folles grâces une délicatesse tendre et mourante. Ses cheveux, peu abondants, étaient d’une finesse idéale. Sous le titre de Scènes de la vie de Bohème, Mürger écrivit alors dans le feuilleton du Corsaire ses jeunes amours à mesure qu’il les vivait ; si bien que Mimi, affaissée et déjà songeuse, lisait chaque matin son histoire de la veille, revêtue du charme de la poésie, et ressemblait à la naïade qui