Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/242

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que celui de Poquelin, et se borna à changer le P en C, disant qu’en somme cela irait bien ainsi. Sous sa chevelure châtain foncé, épaisse et violente, Coquelin a une face qui pétille d’esprit et une jeunesse indicible. On lit sur ses lèvres qu’il a un appétit à tout dévorer : les fleurs de la terre et les étoiles du ciel, l’art, l’amour, tous les travaux, tous les rôles ! Un joli teint. C’est la tête d’un enfant hardi qui joue trois pièces tous les soirs, et qui se repose en étudiant, ivre d’amour pour la muse couronnée de raisins ; et comme dit Corot, une parcelle d’amour en plus, le cœur se briserait !


42. — MADAME SAQUI

L’âge, hélas ! a jauni sa peau, qui fut douce et charmante, gravé son visage de cent mille rides, rapproché violemment un nez et un menton qui semblaient pouvoir s’allonger pendant des éternités sans se toucher jamais. Là, tout est deuil et ruine. Mais l’œil ! la paupière a beau vouloir tomber sur lui, l’œil ! cet œil d’enfer, noir, farouche, vif, exalté, amoureux, intrépide, rien n’a pu l’affaiblir, rien n’a pu l’éteindre ; il adjure, il prie, il menace, il s’exalte dans le souvenir du triomphe ! Il raconte ces jours d’orgueil et de gloire, où, après une ascension solennelle, Napoléon Ier, voyant madame Saqui tout en sueur et le col nu, jetait le châle d’une princesse