Page:Banville - Les Belles Poupées, 1888.djvu/138

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— Mais, dit madame de Cherfix, ton mari est un monstre.

— Oui, dit Louise de Latil, comme le tien et comme tous les autres maris. Son tort le plus impardonnable, c’est qu’il n’existe pas. Mais enfin, ce malade chimérique, ce reflet d’une lumière absente, ce fantôme vague et indécis, crois-tu que je le possède entièrement et qu’il appartienne à moi seule ? Ah ! Marie, il n’est pas plus à moi que le pavé des rues foulé par les pieds des passants et que l’air souillé et vicié par leurs haleines ! Comme les comédiens qui ont longtemps joué l’emploi de Bressant, il, est invinciblement cousu dans sa peau d’amoureux, et il ne dépendrait nullement de lui de ne pas faire les mines et de ne pas dire les paroles qui ravissent les femmes sottes, c’est-à-dire beaucoup de femmes. Dès que monsieur de Latil ouvre la bouche, elles font des yeux de carpe pâmée et elles ont l’air de vouloir tomber dans ses bras. Ah ! si elles pouvaient le voir comme je le vois, triste, quinteux et regardant ses bibelots avec étonnement, d’un œil atone, comme s’il ne les avait jamais vus ! Mes seuls bons jours, c’est ceux où monsieur de Latil trouve la force de me quereller, de s’emporter ; car alors, nous avons encore des raccommodements ; et, il faut bien