Page:Banville - Les Belles Poupées, 1888.djvu/141

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malades et aux misérables. Alors, quand nous marchons ainsi dans les chemins creux, sous les grandes roches noires, il ne me déplaît pas que Jean soit fort comme il l’est, car si nous les rencontrons sur notre route, c’est pour les voleurs et pour les loups que la rencontre est mauvaise. Avec mon mari, je me sens mieux gardée que par une compagnie de gendarmes, et je suis bien tranquille. Enfin, j’ai quatre enfants, hâlés, robustes, forts comme de petits Turcs ; ceux qui peuvent marcher déjà se baignent dans l’eau écumeuse de la Tiretaine, entre les blocs de lave, et sautent sur les chevaux, et s’y tiennent en empoignant leurs crinières. Comme il faut nourrir, peigner, habiller, torcher, baiser et adorer tout ce monde-là, tu penses que je ne m’ennuie pas ; car, avec quatre enfants, il y a de quoi faire ; mais j’espère que nous en aurons beaucoup d’autres.

Nos moyens nous le permettent ! Nous avons cinq cent mille francs de rente en bonnes terres ; car de temps immémorial, les Cherfix, laboureurs et moissonneurs, ont gardé leurs biens au soleil et, en ce qui les concerne personnellement, se sont méfiés de l’industrie et du commerce, comme un chat échaudé craint l’eau froide. Nous sommes riches sans escamotage, et libres comme des oiseaux. Je ne donne aucun