Page:Banville - Les Belles Poupées, 1888.djvu/140

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désespoir dictait l’ironie de cette plaisanterie effrontée, tu ne le prêtes pas ?

— Sous aucun prétexte, dit madame de Cherfix, et, ce qui vaut encore mieux, il ne se prête pas lui-même. C’est tout simplement, et sans plus, un mari fidèle ! Il n’a d’yeux que pour moi, et regarde les autres femmes comme des figures sans intérêt, qui seraient peintes sur un mur. Nous sommes des provinciaux, ma chère Louise ; mais la province, c’est toutes sortes de choses, comme les fagots de Molière et comme les langues d’Ésope. On y voit des êtres qui grignotent, comme des souris, les parents à héritage encore vivants, et d’autres qui se disputent les sous, comme des chiens un os ; mais on y rencontre aussi des mâles, comme Jean de Cherfix. Tu me disais qu’il n’a pas gagné des batailles, comme le maréchal de Saxe ; mais il a été zouave en Afrique, et il s’y est fait trouer la peau, aussi bien qu’un prince. Tu riais des fers à cheval qu’il casse avec ses doigts ; mais au château que nous habitons près de Chamalières, à deux kilomètres de Clermont précisément dans un décor de volcans et de puys, et où nous vivons comme deux amants que nous sommes ; c’est un de nos plaisirs d’aller seuls, sans valets, même le soir et la nuit, porter des secours aux