Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/115

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penchées, elle aussi parlait fiévreusement de l’avenir et souriait avec mélancolie à la chute des feuilles. Mais, à ce moment-là, elle ne fut plus ridicule ; bien plutôt, elle parut terrible, comme toutes les personnes transfigurées par une passion violente, car elle mettait à trouver de l’argent la rage frénétique du lion affamé de proie dans les gorges de l’Atlas. Elle sentait que ses dernières minutes d’illusion étaient à ce prix, et elle défendait sa vie avec des rugissements. Alors l’ancienne directrice des Exploits-Militaires se réveillait ; il fallait l’entendre discuter les questions de salaire avec M. Dejean ; elle était adroite, violente, éloquente, dissimulée, impérieuse, insinuante, inépuisable ; elle parlait deux heures sans fatigue apparente, en se tamponnant les lèvres avec son mouchoir inondé de sang.

» Mais elle devint trop malade pour continuer ses représentations, et elle dépensa toute son énergie à emprunter de l’argent parmi nous, exécutant sur des natures brutales des miracles inénarrables de séduction. Depuis les cent francs jusqu’aux sommes les plus minimes, elle épuisa tout ; rien ne lassait sa patience, elle buvait la honte comme un cher calice. À la fin on la fuyait, on se sauvait quand on la voyait venir, et quand sa victime s’échappait ainsi, elle s’arrêtait immobile, lançant au ciel une dernière imprécation, regardant si la nue allait se déchirer ou la terre s’ouvrir pour lui jeter un dernier secours !

» Moi-même, j’avais fait pour elle le possible et l’impossible ; acharnée à combler le gouffre ouvert sous ses pas, je m’étais endettée gravement, et j’avais vu arriver ce moment suprême où il faut devenir insensible, quoi qu’il nous en coûte. Hébé arriva chez moi, et entra malgré ma femme de chambre. Elle n’osa rien me de-