Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/15

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fatigue de la réalité, et elle a pris comme spécialité l’Idéal.

Le poëte regarda finement ses interlocuteurs.

— Voilà qui est trop simple, dit-il. Comme moi, l’un de vous au moins a été une fois dans sa vie persuadé par une conversation d’un quart d’heure, et tout le monde le serait.

— Persuadé de quoi ? Persuadé qu’Élodie est un ange… tout à fait ignorant ?

— Oui.

— Mais ses enfants ?

— Mon Dieu ! la lettre tue ! Tenez, voulez-vous entendre ce que madame de Luxeuil m’a dit à moi-même ? Mon pauvre ami, ce peintre que vous savez, était parti pour Nice, où il va ne pas se guérir des alternatives d’espoir et de désespoir que crée involontairement Élodie. Car (moi j’en suis sûr !) elle va au ciel toutes les nuits, et ne se rappelle pas le lendemain ce qu’elle a dit la veille : « Mais, enfin, mon cher Émile, m’a demandé madame de Luxeuil avec la curiosité ingénue d’un enfant, pourquoi votre ami est-il parti ? Que voulait-il donc de moi ? »

À ce moment-là, je l’ai regardée fixement, ébloui, fou, irrité ; j’avais dans mes yeux toute l’indignation d’un cœur honnête. Élodie ne s’est pas troublée, elle n’a pas rougi, rien n’était joué, elle ne mentait pas. Comme vous l’imaginez, les bras m’en tombaient, mais j’ai été convaincu, et il fallait être convaincu à moins d’être un athée ou un imbécile.

— C’est égal, dit Rosier, au diable la poésie lamartinienne, et tous ceux qui boivent des cascatelles et qui s’en vont dans les clairières manger, sur le coup de minuit, des salades de sensitives ! En rentrant chez moi, je