Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/155

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frant au regard des harmonies de couleurs très-amusantes, quelque chose comme une palette arrangée à souhait pour le plaisir des yeux. Ces travaux, il les faisait dans son lit, couché, puis il les jetait en quelque coin et ne tentait en aucun cas de les vendre, car il recevait d’un sien oncle une pension de cinquante francs par mois, pension qui suffisait amplement à ses besoins, puisqu’il n’avait aucune espèce de besoins. La suite dans les idées ne se révélait chez lui que par la ténacité vraiment digne d’éloges avec laquelle il fumait la cigarette, ne se lassant jamais de rouler une pincée de tabac dans ces petits morceaux de papier, d’allumer la cigarette, de la jeter à peine entamée et d’en faire une autre. On aurait dit qu’il était condamné à accomplir ce travail comme Sisyphe à rouler son rocher au haut de la montagne, et Ixion à tourner sur la roue ailée où il est retenu par des nœuds de serpents. En fait de littérature, il connaissait, par les traductions courantes, la Bible et les poëtes grecs et latins, mais il faisait sa seule lecture des romans de M. Paul de Kock, qui, selon lui, est, de tous les écrivains, celui dont les ouvrages sont le plus faciles à lire. Il fuyait l’amour, comme exigeant des démarches trop multipliées. Souvent, après avoir courtisé, au bal ou au concert de la Chartreuse, quelque fillette en bonnet de linge et l’avoir invitée à dîner, il s’excusait sous quelque prétexte et vidait sa bourse dans le tablier de son infante, pour se dispenser de l’accompagner chez le traiteur. En un mot, il jouait ici-bas les inutilités avec une conscience rare, quand se produisit le tout petit événement qui devait être le seul événement de sa vie.

Il y avait alors dans la rue de la Verrerie (je ne sais s’il existe encore), un petit bal presque exclusivement fréquenté par les jeunes filles juives qui servent de mo-