Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/156

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dèles aux peintres et aux statuaires. Margueritte y rencontra une enfant de treize à quatorze ans, belle, vous la voyez ! me dit Vandevelle, en me montrant la tête peinte que j’ai essayé de décrire au commencement de ce récit. Céliane Vion était une de ces créatures nées enchanteresses qui persuadent sans ouvrir la bouche, et qu’en les regardant on croit spirituelles. Elle n’a peut-être pas prononcé en sa vie quatre paroles qui eussent le sens commun, et dire qu’elle a été adorée, ce ne serait rien dire, elle a été admirée par les plus grands génies de ce temps. Quand elle murmurait : « Bonjour, Monsieur, » ou « Voulez-vous me couper du pain ? » on était tenté de s’écrier : « Quel mot ravissant ! » mais c’étaient ses cils, sa lèvre éclairée de rose, c’était la ligne ondoyante de son corps qui ravissaient les âmes. Margueritte et Céliane Vion s’aimèrent à première vue, comme des héros de Shakspeare, ce qui est bien permis à l’âge qu’ils avaient. Lui si paresseux, elle si peu éloquente, je suis sûr qu’ils n’avaient pas échangé vingt mots, lorsqu’on les vit s’en aller ensemble bras dessus bras dessous, mais ils ressemblaient à s’y méprendre à ce joli couple d’amants que la bonne fée bénit sur l’autel de vif-argent et de paillon rouge, à la fin des apothéoses. On aurait cru voir deux sylphes des premiers jours de printemps, quelque Titania enfant avec son page, et, en effet, c’était alors le commencement d’avril, et les feuilles des marronniers du Luxembourg commençaient à s’ouvrir. Margueritte ne raisonna pas plus son amour pour Céliane qu’il n’avait raisonné son goût pour la cigarette, la première fois qu’il avait fumé ; le charme l’avait saisi, et il fut évident qu’il y en avait pour sa vie. Pendant quelques jours, la chambrette de la rue de Tournon fut délicieuse à voir ; Céliane y avait apporté tout un jardin acheté