Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/208

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lacs d’amour, cette grande femme se sentait vaincue et désolée en voyant ainsi tomber autour d’elle tout ce qui avait été enfant au temps de sa jeunesse. Dans son parc dessiné par quelque noble élève de Lenôtre, dans ce lieu de délices où, reflétées par les eaux tranquilles, les naïades souriantes se mouraient sous le vert rideau des charmilles ; parmi ces calmes vestiges d’un monde évanoui, la marquise faiblissait en sentant le souvenir l’abandonner, et enfin elle avait peur de ne pas mourir debout, une rose fleurie à la main, comme il convient à une femme de sa beauté et de sa race.

— Léon, m’avait-elle dit, vous pouvez me rendre un grand service, et je sais que vous êtes heureux d’obliger, comme nous l’étions autrefois. Vous le savez, je ne puis guère causer avec les livres ; vos livres sont trop difficiles à vivre ! De mon temps, les romans étaient pour nous des amis avec lesquels nous faisions de l’esprit et de l’amour comme avec nos autres amis ; mais les vôtres, pour y trouver du plaisir, hélas ! il faut d’abord les supplier de se laisser lire ! Et puis, avouez, mon enfant, que vos poëmes n’ont rien compris à cette grande époque qui eut horreur de la laideur et de la mort, comme la Grèce d’autrefois.

— Ah ! madame la marquise, répondis-je en tremblant, n’attendez pas de moi un livre qui vous rende ces joies du printemps et de la jeunesse ! Tout au plus, au milieu de notre vie agitée à tous les vents, je pourrais raconter, dans quelque rhapsodie écrite au hasard, les faiblesses et les révoltes de nos âmes maladives qui ont soif de la joie et qui ne savent la chercher décidément ni sur la terre ni dans le ciel ! Je pourrais faire agoniser devant vous une victime pâle et glacée, levant encore sur un lâche amant ses regards que voilent déjà les