Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/220

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d’un théâtre de boulevart, à cette époque où le spectacle était encore la seule pâture donnée aux instincts artistiques du peuple.

Les habitants du Marais, pour qui la représentation d’un mélodrame était une si grande affaire que pendant quinze jours au moins ils en critiquaient jusqu’à la partition avec le sérieux réservé aujourd’hui aux discussions politiques ; les amateurs de la vieille roche qui nomment avec tout le respect du souvenir Tautain, Frénoy, Ménier père et mademoiselle Lévesque, se rappellent, encore une actrice, nommée Adolphina, qui remplissait habituellement les rôles de fées ou de génies, et qui jouissait d’une incomparable célébrité pour l’adresse qu’elle apportait dans l’exercice vulgairement nommé : combat au sabre et à la hache.

En 1813, une année avant la naissance de sa fille Minette, qui a laissé, elle, une véritable réputation, Adolphina était une femme de seize ans à peu près, mais à qui tout le monde en aurait donné vingt-deux, tant sa tête était flétrie et déflorée par les habitudes les plus grossières. Magnifiquement proportionnée, mais d’une taille colossale, dont les statues de villes posées sur la place de la Concorde peuvent donner une idée avec leurs muscles de taureau et leurs membres athlétiques, cette amazone de bas étage eût été belle, si l’idée de beauté pouvait s’allier avec le manque complet d’intelligence et d’idéal. En effet, ses traits admirablement réguliers effrayaient et éloignaient pourtant le regard par tous les signes qui indiquent l’âme absente. Son front étroit, sur lequel empiétait encore une forêt touffue et inextricable de cheveux d’un blond fauve, l’expression hébétée et féroce de ses yeux d’un gris verdâtre, sa bouche charnue, exprimant tous les appétits sensuels, et meublée