Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/42

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enfance, et le jour où sa beauté arrive à être parfaite, elle commence déjà à se dégrader. Même au moment où elle voit son ouvrage se détruire, la Nature ne renonce jamais à ce travail de perfectionnement qu’elle fait sur toutes ses créatures. Ce sont les mains qui de jour en jour se précisent, c’est une rougeur vermeille qui disparaît pour laisser plus pur un méplat d’ivoire ; c’est la chevelure qui se replante mieux et s’arrange à l’air du visage. Chez Henriette, rien de tout cela ! Elle est accomplie comme la Vénus de Cléomène et comme Ninon de Lenclos à son dernier amour, achevée comme une fleur, polie comme une pierre précieuse. Doute effroyable : Quel âge a-t-elle ?

L’histoire de Pandore est l’histoire de toutes les boîtes qu’on ne doit pas ouvrir. Vous devinez les luttes, les remords, les paradoxes où s’égara Pierre Buisson, et qu’un jour enfin, à force de lassitude et de haine contre lui-même, au moment où Henriette cachait sa belle tête sur le sein de ce lâche amant, un démon lui arracha les paroles coupables, et qu’il balbutia à voix basse, comme un assassin, ces mots qui en passant lui brûlèrent les lèvres : « Je voudrais savoir ton âge ! »

Tel sans doute le dieu Amour cria de douleur en s’éveillant sous la goutte d’huile brûlante de Psyché ; pareille à une lionne blessée et à une femme insultée, Henriette s’arracha des bras de Pierre en poussant un grand cri de désespoir et d’amour trompé, un cri tel que la grande Rachel aurait seule pu le retrouver dans ses délires. Et elle s’enfuit.

Quinze jours après, comme Pierre Buisson, assis sur un divan, cachait sa tête dans ses deux mains, son domestique lui remit un paquet soigneusement cacheté. L’adresse était écrite de la main d’Henriette de Lysle ;