Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/83

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Gérard sort aujourd’hui de Saint-Cyr. Dans sept ans, il sera décoré et capitaine ; grâce au million que je lui apporterai il obtiendra de reprendre le titre et le nom de sa mère, nous nous marierons, et tout sera dit. Car lorsqu’on n’est pas honnête fille, il faut se faire honnête femme ou on ne mérite aucune pitié, car on est une bête !

— Et quand veux-tu t’entendre avec Agénor ?

— Je vous donnerai un rendez-vous, et je viendrai avec mon notaire ! Je verrai Gérard chez toi tous les huit jours ; de plus tu loueras sous ton nom dans le faubourg Saint-Germain une chambre dont tu me remettras la clef et où personne n’entrera jamais, pas même toi ! car on a beau être forte, il faut prévoir tout, même les caprices !

— Mais, dit Euphrasie…

Sa voix s’éteignit ; les deux femmes échangèrent quelques mots absolument à voix basse, quoiqu’elles crussent être toutes seules, et toutes deux rougirent.

Comme je l’ai dit en commençant, Albert Servais, qui avait tout entendu, est mort, mais il n’est pas devenu fou, ce qui témoigne d’une grande énergie. Aussi c’était un coloriste, nourri de Shakspeare. Le soir même du jour où avait eu lieu cette conversation trop parisienne, la petite Mignon, sur la scène de l’Opéra, était accoudée sur un pan de décor, dans une pose délicieusement naïve et enfantine.

— Vous avez du chagrin, mon enfant, lui dit un ministre.

— Oui, monsieur ; ce soir, en venant au théâtre, il fait une si belle nuit ! j’ai vu le ciel bleu plein d’étoiles, j’ai pensé que ma mère qui m’aime tant ira peut-être là avant moi, et depuis ce moment-là… je pleure !