Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/116

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accepter une versification telle que, grâce à elle, l’homme d’esprit devient leur égal ! Grâce à eux, nous avons le vers invertébré, le vers mollusque, gluant et aveugle et jouissant d’une vie si peu individuelle que, si nous le coupons en deux, cela fait deux vers de tragédie ou deux mollusques ! Étrange problème ! que les sots aient soutenu de toute leur force un système qui faisait d’eux des personnages, cela se conçoit de reste ; mais que les hommes supérieurs aient consenti à s’y soumettre, voilà ce qui passe l’imagination. Si une telle aberration peut s’expliquer, c’est par l’enfantine docilité des hommes de génie, qui obéissent à tout ce qu’on veut, et surtout par le manque de ressort et d’énergie qui nous empêche de résister à une tyrannie quelconque, dans un pays à ce point hiérarchisé que son maître tout-puissant, Louis XIV, s’inclina devant l’autorité de Boileau ! comme devant un fait accompli. Hélas ! que d’Orphanis nous préparait sa coupable faiblesse ! que de Mustapha et Zéangir !

Il fallait la Révolution pour balayer ce fumier tragique ; il fallut un être divin, fils d’une Grecque, André Chénier, pour délivrer le vers de ses liens ignobles. Il paraît, et avec lui le vers divin, ailé, harmonieux, tendre et terrible, descend du ciel avec les ailes frémissantes et