Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/153

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                    Ô Dieu, l’étrange peine !
               En cet affront, mon père est l’offensé,
               Et l’offenseur le père de Chimène.

                 Que je sens de rudes combats !
Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse :
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse ;
L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras.
Réduit au triste choix ou de trahir ma flame
                    Ou de vivre en infâme,
           Des deux côtés mon mal est infîny.
               Ô Dieu, l’étrange peine !
           Faut-il laisser un affront impuny ?
           Faut-il punir le père de Chimène ?

Corneille. Le Cid, Acte I, Scène VII.

C’est en strophes aussi que Polyeucte, détaché de tout sentiment humain et prêt à embrasser le martyre, exprime son appétit des voluptés célestes :


Source délicieuse en misères féconde ;
Que voulez-vous de moy, flateuses voluptez ?
Honteux attachemens de la chair et du monde.
Que ne me quittez-vous quand je vous ai quittez ?
Allez, honneurs, plaisirs, qui me livrez la guerre,
               Toute votre félicité.
               Sujette à l’instabilité,
               En moins de rien tombe par terre ;
               Et, comme elle a l’éclat du verre,
               Elle en a la fragilité.

Ainsi n’espérez pas qu’après vous je soupire.
Vous étalez en vain vos charmes impuissans ;
Vous me montrez en vain, par tout ce vaste empire.