Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/242

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Moi-même j’ai mon rêve et mon demi-sommeil.
De féeriques sentiers s’ouvrent sous les feuillages ;
Les uns, en se hâtant vers le coteau vermeil,
Ondulent, transpercés d’un rayon de soleil ;
Les autres indécis, contournant les rivages,
Foisonnent d’ombre bleue et de lueurs volages.

Tous se peuplent pour moi de figures volages
Qu’à mon chevet parfois évoque le sommeil,
Mais qui bien mieux encor sur ces vagues rivages
Reviennent, souriant aux mailles des feuillages :
Fantômes lumineux, songes du plein soleil.
Visions qui font l’air comme au matin vermeil.

C’est l’ondine sur l’eau montrant son front vermeil
Un instant ; c’est l’éclair des sylphides volages
D’un sillage argentin rayant l’or du soleil ;
C’est la muse ondoyant comme au sein du sommeil
Et qui dit : « Me voici ; » c’est parmi les feuillages
Quelque blancheur de fée… Ô gracieux rivages !

En vain j’irais chercher de plus nobles rivages.
Pactole aux sables d’or, Bosphore au flot vermeil,
Aganippe, Permesse aux éloquents feuillages,
Pénée avec ses fleurs, Hèbre et ses chœurs volages,
Éridan mugissant, Mincie au frais sommeil
Et Tibre que couronne un éternel soleil ;

Non, tous ces bords fameux n’auraient point ce soleil
Que me rend votre aspect, anonymes rivages !
Du présent nébuleux animant le sommeil.
Ils y font refleurir le souvenir vermeil
Et sonner du printemps tous les échos volages
Dans les rameaux jaunis non moins qu’aux verts feuillages.