Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/308

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pait non sans justice, et, s’il le faut, rattachons-le sur son front d’une main pieuse, car ce front a porté la fortune même et l’avenir de la poésie. Dix années d’études ardues, l’intuition vague mais certaine de l’avenir, l’ambition de ressusciter la Grèce parmi les brumes du nord et dans un pays déchiré par les guerres civiles, quarante ans de travaux, l’ennui des cours et la disgrâce des rois, le nom de l’amour glorifié, la France chantée et consolée, une renommée universelle dignement portée, puis la disgrâce, les longues souffrances, l’interminable agonie, une mort chrétienne et stoïque, n’est-ce pas de quoi mériter le noir rameau toujours arrosé de sang et de pleurs ? Il n’aura manqué à Ronsard ni l’aspiration vers les infinis du beau, ni le désir de la perfection, ni le martyre, ni l’insulte ; ne lui refusons donc pas sa place dans l’Olympe des poètes, où il a le droit de porter la pourpre, sinon près de ceux à qui il tentait de ressembler, du moins à côté de Virgile et d’Horace, dans ce groupe qui, loin des aveuglantes splendeurs d’Homère, de Pindare et d’Eschyle, traîne après lui une douce lueur d’étoiles et de crépuscule.


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