Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/315

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et lyrique ; ce mélange, il l’a fait avec la puissance de l’ouvrier qui amalgame les durs métaux, et, dans la réalité, il a été le premier poëte romantique et actuel. Il fait mouvoir ses acteurs, mais en même temps, avec le son, avec la couleur, il traduit la nature agitée et mélodieuse, il ouvre des perspectives sur l’âme et sur l’infini ; son théâtre a toujours ce qui manque parfois à celui de Racine et de Molière, une fenêtre ouverte sur le ciel. Quant à ses personnages, que sont-ils ? Rien qu’au dégoût et au désappointement douloureux qui nous saisit quand nous entendons des critiques superficiels relever chez La Fontaine les erreurs d’histoire naturelle, et telle hérésie à propos des mœurs bien connues d’un animal, nous comprenons bien que le monarque Lion, le vieux Chat rusé, le compère Loup, la Couleuvre qui reproche si justement à l’homme son ingratitude, et la Mouche du coche et l’Agneau égorgé au bord d’une onde pure, ne sont pas des animaux réels, car le premier mot d’un tel reproche nous frappe comme une sottise réaliste, aussi lourde que le pavé de l’ours. Sont-ils des hommes en chair et en os ? Le Renard signifie-t-il tout bonnement un intrigant rusé et le Lion un monarque sanguinaire ? Alors pourquoi la brutale mascarade imaginée par Grandville aurait-elle