Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/317

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Ne cherche pas plus longtemps, je suis un personnage de fable, pas autre chose, une marionnette comique dont le génie tient les fils. D’ailleurs, comment voir une simple comédie humaine dans ce théâtre enchanté où tout vit, la forêt, la source et l’étoile, où un insecte peut tenir en échec Jupiter et où le chêne parle au roseau d’une voix si éloquente ?

Mais si je m’attaque, à propos de La Fontaine, aux jugements stéréotypés et aux opinions toutes faites, par où commencerais-je ? et comment pourrais-je me contenter de l’espace réservé à cette courte notice ? À propos du fabuliste, l’aimable mot naïveté vient tout de suite sous la plume. Il est très-vrai qu’il arrive à la naïveté à force d’art ; mais de là, mille écrivains ont conclu que La Fontaine était un homme naïf, s’ignorant lui-même et produisant ses Fables à la grâce de Dieu, comme un champ produit des coquelicots et des pâquerettes. Ce n’est pas là-dessus, hélas ! qu’on trompera un versificateur de profession, qui peut apprécier les formidables efforts qu’a demandés la création du vers libre, où le lecteur vulgaire ne voit qu’une succession de vers inégaux assemblés sans règle et au caprice du poëte ! Cette fusion intime de tous les rhythmes, où le vêtement de la pensée change avec la pensée elle-même, et