Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/60

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L’objection qui naturellement se présente à l’es- prit ne saurait être mieux formulée, et comme je ne veux pas être soupçonné de parler le turc de mamamouchi, je me hâte d’y répondre.

Ce n’est pas en décrivant les objets sous leurs aspects divers et dans leurs moindres détails que le vers les fait voir ; ce n’est pas en exprimant les idées in extenso et dans leur ordre logique qu’il les communique à ses auditeurs ; mais il suscite dans leur esprit ces images ou ces idées, et pour les susciter il lui suffit en effet d’un mot. De même, au moyen d’une touche juste, le peintre suscite dans la pensée du spectateur l’idée du feuillage de hêtre ou du feuillage de chêne : ce- pendant vous pouvez vous approcher du tableau et le scruter attentivement, le peintre n’a repré- senté en effet ni le contour ni la structure des feuilles de hêtre ou de chêne ; c’est dans notre es- prit que se peint cette image, parce que le peintre l’a voulu. Ainsi le poëte.

C’est donc le mot placé à la rime, le dernier mot du vers qui doit, comme un magicien subtil, faire apparaître devant nos yeux tout ce qu’a voulu le poëte. Mais ce mot sorcier, ce mot fée, ce mot magique, où le trouver et comment le trouver ?

Bien de plus facile.