Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/61

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Car, si vous êtes poëte, vous commencerez par voir distinctement dans la chambre noire de votre cerveau tout ce que vous voulez montrer à votre auditeur, et en même temps que les visions, se présenteront spontanément à votre esprit les mots qui, placés à la fin des vers, auront le don d’évo- quer ces mêmes visions pour vos auditeurs. Le reste ne sera plus qu’un travail de goût et de coordination, un travail d’art qui s’apprend par l’étude des maîtres et par la fréquentation assi- due de leurs œuvres.

Si au contraire vous n’êtes pas poëte, vous n’aurez que des visions confuses, que nul peintre ne pourrait, d’après votre récit, traduire d’une manière claire et intelligible; et les mots qui pourront susciter ces mêmes visions dans l’esprit de votre auditeur ne vous viendront pas à la pen- sée. Car ce n’est ni le bon sens, ni la logique, ni l’érudition, ni la mémoire, qui fournissent ces mots armés d’un si étrange pouvoir; ils ne se présentent à la pensée qu’en vertu d’un don spé- cial, qui ne s’acquiert pas.

Étant donné qu’un mot type, qu’un mot ab- solu doit, pour la plus grande partie, susciter rimage voulue, il doit être bien difficile, dira-t-on, de trouver le mot qui doit rimer avec celui-là et compléter le tableau qu’il peint, en même