Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/62

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temps qu’il formera avec lui un accord parfait

Non, cela n’est aucunement difficile, et tou- jours pour la même raison. C’est que si vous êtes poète, le mot t3rpe se présentera à votre esprit tout armé, c’est-à-dire accompagné de sa rime! Vous n’avez pas plus à vous occuper de le trou- ver que Zeus n’eut à s’occuper de coiffer le front de sa fille Athënë du casque horrible et de lui at- tacher les courroies de sa cuirasse, au moment où elle s’élança de son front, formidable et se- reine comme l’éclair qui déchire la nuée. La rime jumelle s’imposera à vous, vous prendra au col- let, et vous n’aurez nullement à la chercher ! Si au contraire vous n’êtes pas poëte, vous pouvez comme Boileau aller chercher votre rime au coin d’un bois et hii demander la bourse ou la vie ; vous pouvez même la poursuivre dans les pays torrides ou jusque dans les glaces où se perdit le capitaine Franklin, vous êtes certain de ne pas la trouver* Car, de même que certains hommes ont reçu du ciel le don de rimer, d’autres hommes ont reçu du ciel, en naissant, le don de ne pas rimer. Don sur- naturel et inexplicable, comme l’autre. M. Scribe, par exemple (après Voltaire), avait reçu le don de ne pas rimer ; il le posséda jusqu’au miracle ; aussi faut-il admirer chez lui cette faculté sans vouloir l’expliquer, non plus qu’aucun miracle.