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ENCORE LA RIME

maire et tout attentat contre la construction logique des phrases, sous prétexte d’inversion ou de licence y vous sont interdites, et que la condition d’écrire en vers ne vous dispense ni d’écrire en français ni d’avoir le sens commun. Or, sachant cela, vous en savez déjà plus que tel Pindare de profession qu’on a fait venir d’Amiens pour être poète, qui depuis dix années en usurpe le nom, et qui, s’il l’osait, se promènerait par la rue avec un bandeau de laurier ou un chapeau de fleurs. Vous savez aussi que la Rime est l’outil, le moyen universel du vers ; qu’avec elle vous pouvez tout faire, et que vous ne pouvez rien faire sans elle. Vous savez que dans notre langue si magnifique et si riche, dont les mots exilés ou captifs ont été délivrés par le moderne Hercule, vous pouvez disposer d’un inépuisable trésor de rimes ; mais n’ayant pas reçu par grâce spéciale et surnaturelle le don de rimer, c’est-à-dire n’ayant pas l’instinct qui devine la rime destinée à peindre votre pensée, il s’agit pour vous de suppléer à ce don absent, et de trouver artificiellement cette Rime qui d’elle-même vient chercher et obséder le vrai poëte.

Premièrement, il faut ici détruire un des préjugés les plus en faveur qui s’opposent à ce que vous atteigniez le but proposé. Presque tous les