Page:Banville - Socrate et sa Femme, 1886.djvu/13

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Irriter, puisque nulle injure ne l’émeut !
Ah ! parmi vous, traînant ma rage inassouvie,
Mes sœurs, il n’en est pas une que je n’envie.
Vos maris sont prudents ; ils vous donnent, dit-on,
Sur le dos et les reins de bons coups de bâton.
Si vous les trompez, ils vous battent. C’est la mode.
Mais, après, quel plaisir quand on se raccommode,
Et comme il semble doux à vos cœurs apaisés,
Lorsque les coups ont plu, qu’il pleuve des baisers !
Mais seule parmi vous, je n’aurai nul salaire,
Hélas ! puisque mon ours n’est jamais en colère.
J’ai beau crier, hurler ; quand j’exhale mon fiel,
Il dit : « Bon. Ce n’est rien, c’est un orage au ciel,
Cela passera. » Mais je n’ai pas l’âme ingrate.
J’en ferai tant, tant, tant, qu’il faudra que Socrate
S’émeuve aussi, dussé-je enfin prendre un tison,
Et mettre un jour le feu, moi-même, à la maison !
Qu’on puisse voir alors, sous le mur qui flamboie,
Rugir mon philosophe, et moi crever de joie !
Apercevant Socrate qui s’avance, entouré d’amis, de femmes et de citoyens.
On vient. C’est lui, traînant à ses talons des tas
De gens, de tous les bourgs et de tous les états.
Troupeau de fous ! Pour mieux leur montrer ma science.
Je les laisse d’abord entrer sans défiance ;
Puis je leur ferai voir ce que les Dieux ont mis
De colère dans ma poitrine !