Page:Barbara - L’Assassinat du Pont-Rouge, 1859.djvu/144

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je voyais ça et là passer quelques silhouettes, je pus mieux m’orienter. Vis-à-vis de l’hôtel de ville, du côté de l’eau, les marchands de vin, encombrés de clients, n’avaient hâte de fermer leurs comptoirs. Je trouvai ce que je cherchais, et je rebroussai chemin.

« Cependant, que se passait-il dans ma tête ? Il doit se passer quelque chose de semblable dans celle d’un général au plus fort de la bataille. Malgré un froid pénétrant, mon corps brûlait, mon cerveau était en ébullition. Les idées y affluaient avec une impétuosité inconcevable. C’était comme vingt éclairs qui se croisent en même temps sur un ciel noir. Je pensai tout ceci en quelque sorte à la fois : « Thillard est un scélérat ; il fuit, il est chargé d’or ; nul ne sait qu’il est chez moi. J’ai un poison qui ne laisse aucune trace ; lui-même m’offre le moyen de le lui administrer ; le quartier est désert, le brouillard impénétrable, la Seine haute ; Rosalie est à ma discrétion ; l’impunité est certaine, etc, etc. » Jamais je n’eusse cru mon entendement capable d’une opération aussi complexe. J’allai jusqu’à penser qu’il y avait une Providence, que cette Providence était ma complice, qu’elle se servait de ma main pour châtier un criminel, que j’accomplissais un devoir, une mission même. Bien qu’en proie à la fièvre, je rentrai maître de moi. J’appelai Rosalie dans la pièce du devant et lui dis à voix basse, rapidement,