Page:Barbey d'Aurevilly - Le Parnasse contemporain paru dans le Nain Jaune, 1866.djvu/31

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Ce sujet, je vais vous l’exposer sommairement, monsieur le rédacteur ; car je vous établis vous-même juge dans la question, et je me promets de vous demander ce que vous feriez d’une œuvre pareille, si on vous l’apportait. Les femmes peuvent passer ces lignes ; ou si elle les lisent, je leur souhaite de ne pas les comprendre. Voici donc ce sujet triomphant : M. Amédée Pommier est dans un bal ; (ici, pour commencer, une description, ou plutôt une énumération de tous les bijoux, de toutes les fleurs, de toutes les étoffes et de toutes les femmes). Au milieu de ce luxe éblouissant, qui lui inspire les adjectifs les plus enthousiastes, M. A. Pommier se sent gai, content et disposé à apprécier convenablement la beauté des dames ; ici, on voit des divines mappemondes, des yeux, des mains, des regards, des cous, des attraits et bien d’autres choses qui feraient perdre la tête à un plus sage que M. A. Pommier. Mais ce bal ayant lieu en automne, on est forcé d’ouvrir la croisée pour adoucir la température trop pesante et trop voluptueuse. C’est l’heure où Paris se livre aux soins de propreté les plus nécessaires ; voici donc que de lourdes voitures, bruyantes et redoutées, dégagent, du fond de la rue, un réalisme pur, odorant, parmi toutes ces femmes et toutes ces fleurs dépoétisées. Cet incident désagréable suscite dans l’esprit profond de M. Amédée Pommier des réflexions philosophiques d’une très-haute portée et d’une subtilité très-pénétrante.