Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/180

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l’arracher de la selle, mais c’était une écuyère consommée, et d’ailleurs mon mouvement l’avait avertie sans l’effrayer. Elle imprima une forte secousse à la bouche de son cheval et se couvrit du poitrail de la noble bête, en la faisant cabrer.

« Sa colère montait jusqu’à la mienne. J’ai, un soir, au coucher du soleil, dans les bois de la Corse, blessé une aigle d’un coup de carabine. Elle me la rappelait.

« — Vous êtes un insolent ! — me dit-elle. — Faites-moi place, ou je vous charge avec cette cravache à l’instant !

« Elle était superbement pâle, superbement courroucée, superbement posée, la cravache haute, sur son cheval cabré. Elle m’avait irrité d’abord, mais, contradiction de l’amour ! elle me plaisait maintenant ; elle ne faisait plus que me plaire. Je la trouvais adorable. J’aimais cette fureur qui lui allait bien… et je me mis à la contempler avec ravissement au lieu de lui obéir.

« Ma contemplation fut fort troublée. Un aveuglant coup de cravache qui me fit voir mille éclairs, me tomba à travers la figure et me la marqua d’un sanglant sillon.

« Malgré la douleur que je ressentis, je précipitai mon cheval sur le sien qu’elle avait rabattu, et j’eus le sang-froid et l’adresse de recevoir dans ma main ouverte et d’arrêter à