Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/231

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plus vives entre nous. J’avais contemplé bien souvent avec un plaisir orgueilleux et tendre ces absurdes illusions d’un être adoré à qui je pouvais, sans mentir, jurer et répéter, que j’étais fidèle. Maintenant, ces jalousies m’irritaient sans m’intéresser. Ah ! c’était la fin de notre amour, marquise ! Mais le croiriez-vous ? de cet amour expirant, il restait quelque chose de vivant encore. Ce qui périt le premier chez les autres, devait en nous ne pas mourir. Par une prodigieuse exception à la règle commune, ce qui subsistait autant qu’à l’origine de notre liaison, c’était l’influence embrasée qui nous enveloppait toujours, malgré le détachement de nos âmes. Ni la lutte de deux volontés qui s’exaltaient en se résistant, ni les blessures faites l’un à l’autre, ni l’imagination déprise de tout ce qui l’avait charmée, ni la possession incontestée qui tue plus d’amours que le désespoir, rien n’avait détruit cet inexplicable empire dont le secret n’était pas dans nos cœurs. Éternellement, nous sentions sur nous les mailles de flamme de l’invisible réseau. Il y avait là plus que les impressions du passé, ces souvenirs et ces habitudes, merveilleux anneaux de toutes les chaînes de la vie. Il y avait là… que sais-je ? J’ai parfois pensé à un phénomène que la science seule devait expliquer. La fierté d’un homme essuie comme elle peut