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n’aime plus, mais au cœur duquel il est resté une profonde reconnaissance pour un bonheur longtemps goûté. Nous fûmes plus ensemble, Vellini et moi, que nous n’y avions été depuis des années. Je la conduisais au spectacle. Je me promenais à cheval avec elle. Mes élégants amis, qui jetaient toujours un peu leurs maîtresses par les fenêtres quand ils en étaient dégoûtés, se moquèrent de moi et de cette séparation sentimentale. Je les laissai railler et je continuai d’accomplir, vis-à-vis de cette femme qui avait quitté son mari pour me suivre, ce que je croyais des devoirs.

« — Mon cher, — me disaient-ils parfois, — tu ne te dépêtreras jamais de cette femme. Tu ne crois plus l’aimer : tu l’aimes toujours. » — Moi, marquise, j’étais parfaitement sûr du contraire. J’étais revenu à ma vie de garçon avec un sentiment de joie trop complet pour douter une minute de l’entière reprise de moi-même. Un captif à qui on ôte ses chaînes n’est pas plus soulagé que je ne l’étais. La sensation de la délivrance me rafraîchissait divinement la pensée, quand je pensais que je n’avais pas refait avec une maîtresse ce triste roman d’Adolphe qui est une si fréquente histoire. Vellini convenait elle-même, sans en souffrir, que nous ne nous aimions plus. Elle était calme comme moi, comme une âme qui