Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/248

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même si je ne ferais pas mieux de ne point retourner rue de Provence. Mais je me dis que si je n’allais pas chez elle, elle viendrait immanquablement chez moi ; que je connaissais trop du monde qu’elle voyait pour ne pas la rencontrer un jour ou l’autre ; qu’enfin c’était une noble fille qui comptait sur mon amitié ; et, décidé par tous ces motifs, j’allai un soir lui apprendre mon retour.

« Je la trouvai sur son balcon en pierre, sculpté à la Mauresque, au-dessus duquel elle avait arrangé avec beaucoup de goût une mystérieuse tendetta de coutil rose. Ce balcon était pour elle comme une patrie. Des jasmins d’Espagne s’y épanouissaient avec d’autres fleurs des pays chauds, et le bruit des voitures, diminué par la distance et dispersé dans les airs à la hauteur de cet étage, la faisait peut-être rêver, du fond de sa tendetta embrasée et dorée par les feux du soir, au murmure de la Méditerranée, sur le rivage de Malaga !

« Elle ne m’entendit point venir. Les tapis épais du salon, dont la porte vitrée était restée ouverte, avaient assoupi le bruit de mes pas. J’allais la surprendre. Cachée par l’étroit dossier d’une chaise très basse, je ne vis d’elle tout d’abord que sa coiffure, — une de ces coiffures qui m’avaient le plus affolé, quand je l’aimais. C’était ce qu’on appelle une Grecque,