Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/283

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qu’elle pourrait se livrer à la fiévreuse ivresse de ces larmes qui, en coulant, emportaient sa vie. Pleurer là… à dix pas de lui qui l’ignorait… sentir son pied lui marcher sur le cœur, sentir le pied d’une rivale préférée (et pardonnée !) y joindre un poids plus insupportable encore, et prier pour tous deux ; demander à Dieu, les mains jointes, de les bénir et d’éterniser leur amour : voilà la sublime folie qu’elle voulait réaliser avant de mourir tout à fait. Elle était déjà plus d’à moitié morte, et elle ne tenait plus à la vie que par l’enthousiasme du désespoir.

Dieu la soutint, — car Dieu aime les folies des âmes qu’il a créées immortelles. Pendant cette messe qui dura longtemps, les nerfs de cette frêle blonde, minée jusqu’à la transparence par une passion plus forte que la vie, ne furent point au-dessous de la passion du cœur. Nul sanglot ne trahit de son rauque éclat le silence dans lequel cette femme priait enveloppée. Nulle convulsion ne la renversa sur la terre. Elle se tint à genoux sans faiblir. Elle vit tout, elle entendit tout : le prêtre qui les bénissait, la foule qui les admirait, le double anneau, le double oui prononcé avec tant d’amour par les deux voix qui le disaient ; et elle endura cette torture, immobile, voilée, buvant ses larmes qui dévoraient ses joues en y ruisselant et sans