Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/73

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certaines provinces. Sa famille était du Nivernais. Il avait été très beau, comme on pouvait en juger par un portrait fort ressemblant accroché à la glace de son entresol, rue Louis-le-Grand, et qui le représentait coiffé en cadenettes, avec le collet de velours vert, tel qu’il était quand il se maria. Cette belle tête, aux yeux d’outremer, à la bouche fine, si romanesque et si féodale en même temps, on n’en reconnaissait guères le galbe dans le vicomte de Prosny actuel. Le nez busqué s’était allongé, la bouche dégarnie de ses dents était rentrée et avait un faux air de celle de Voltaire sur son déclin. Le menton impérieux avait suivi le nez dans son mouvement en avant, et le menaçait. La peau du visage était jaune comme un parchemin d’antique noblesse ; les yeux gonflés comme ceux de tous les hommes sensuels et qui ont pratiqué la vie, mais ils dardaient toujours leur flamme verte avec cette énergie de curiosité insatiable qui ressemble à de la pénétration, mais qui n’en est pas. Le front, on n’en pouvait juger, caché qu’il était par une perruque châtain clair, très frisée et posée perpendiculairement sur les yeux. On ne compte plus maintenant que deux perruques de ce style-là dans tout le faubourg Saint-Germain. Tel était devenu le beau Prosny, le plus agile danseur et la plus forte lame d’épée