Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/108

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première fois une mère que bientôt elle doit retrouver. Oui, même ces larmes-là, elle ne voulait pas les sentir rouler sur son vieux cœur, qui ne les valait pas, disait-elle. Ainsi, plus que toujours, elle essayait de chasser jusqu’au moindre nuage errant sur la superficie d’un bonheur qu’elle avait creusé si profond ; semblable au lapidaire, idolâtre d’un diamant taillé avec génie, qui passerait son temps à souffler les grains de poussière tombés, par hasard, aux facettes de la pierre resplendissante. Femme inouïe, plus sybarite du bonheur de ses enfants qu’eux-mêmes ! Dans le trajet de Carteret à la Haie d’Hectot, elle exprima, en les variant, les plus suaves nuances du sentiment qui fait consoler ceux qui vous aiment, quand on s’en va à l’échafaud. La plus triste, au fond, c’était elle. Eux, ils étaient jeunes, heureux par l’amour. Ils avaient, pour oublier son absence, le lotus enivrant des caresses. Et elle, — qui n’avait qu’eux et qui les laissait l’un à l’autre, portant aux derniers confins de la vie sa vieillesse à la dévorante solitude, — parce qu’elle voyait à leurs fronts une légitime tristesse, hommage d’affection qui, certes ! lui était bien dû, elle ne pensait qu’à la dissiper, à force de sérénité apparente, de mots fins et de sourires gais ! On reconnaissait bien la femme qui avait inventé le mot que voici, pour justifier ses préoccupations