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nèrent leurs chevaux du côté de Barneville. Mais l’heure était peu avancée. La lande était si déserte, les airs si muets, le paysage si touchant, qu’Hermangarde dit :

— « Ne revenons pas encore ; faisons le tour de la lande plutôt. » Et comme des enfants qu’ils étaient, — car l’Amour est une sainte enfance, — ils mirent au galop leurs chevaux, en se tenant par la main. Si les gens du monde, les amis railleurs de Marigny, avaient pu le rencontrer alors, donnant ainsi la main à sa femme, ils auraient fait pleuvoir sur eux les dix mille flèches de la moquerie ; mais le monde était loin et ses impitoyables sagittaires, qui trempent peut-être, hélas ! l’acier de leurs flèches dans le sang de leur propre cœur, et qui n’insultent souvent le bonheur que parce qu’il leur est impossible ! Ils étaient seuls. Il n’y avait autour d’eux que la nature et le silence. À peine le pas de leurs chevaux retentissait-il sur cette lande, couverte de thym, d’ajoncs et de serpolet. Ils ne rencontrèrent personne, si ce n’est, au bout de la lande, en s’avançant dans les terres, — à l’orée d’un chemin effondré, — une petite fille, une petite pauvresse (comme on dit dans le pays), au teint d’argile, aux cheveux emmêlés, assise auprès d’une eau verdâtre, presque nue, morne, à peine vivante. Elle les laissa passer et ne leur demanda rien. Mais eux re-