Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/113

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vinrent et l’interrogèrent. Elle leur montra une de ces maisons au toit bas, qu’on appelle bijudes en dialecte normand, et elle dit d’une voix traînante qu’elle habitait là avec sa grand’mère. Le mot de grand’mère, prononcé par cette bouche d’enfant, misérable et douloureuse, remua toutes les fibres d’Hermangarde. L’aimes-tu bien ? Aime-la bien, ta grand’mère ! se pressèrent sur ses lèvres émues. Et elle lui donna tout ce qu’elle avait pour le lui porter. L’enfant s’éloigna, étonnée, fixant tour à tour la soie brillante de cette bourse pleine qu’elle tenait dans sa main chétive et salie, et cette belle dame, si belle, qui la lui donnait. Ils la virent regagnant lentement la bijude solitaire, et se retournant à chaque butte de chemin pour leur envoyer de loin le farouche et profond regard de la détresse, de la curiosité et de l’ignorance. Ils reprirent leur course quand ils ne la virent plus, s’enivrant ainsi de grand air, de bonté, de mélancolie ! Après avoir parcouru, en plusieurs sens, ce steppe de bruyères qui se courbait à son centre comme une colline, ils revinrent au point d’où ils étaient partis et où ils avaient quitté madame de Flers. Ils contemplèrent avec une volupté de regard qui venait peut-être de l’état brûlant de leurs cœurs, le paysage ouvert devant eux. Au bas de la lande, le terrain se creusait comme un ravin étroit, mais pour se