Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/115

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La mer n’était point bleue, comme dans l’été, ni verte du vert pâli de l’aigue marine, couleur plus ordinaire à ces plages. Elle n’était pas semée non plus de ces mille lames étincelantes que le soleil attache parfois à ses ondes et qu’elle lui rejette, diamant liquide, sur les angles de tous ses flots. Éteinte, mais pure, elle s’harmonisait avec ce ciel aux nuances voilées et rêveuses, et s’étendait en large bande, molle comme une huile, glacée d’argent. Hermangarde et Marigny, du haut de leurs chevaux en sueur, jouirent longtemps de ce spectacle, si bien fait pour un jour d’adieux ! Rien n’y manquait en mélancolie : ni les sons éloignés de la cloche de Barneville qui sonnait les premières vêpres du samedi, ni le mugissement, à courts intervalles, de quelque vache cachée dans la ramure au pied de la lande, ni l’heure qui, dans ces courtes journées de novembre, passe si vite, emportant le jour ! Ils étaient silencieux et comme pris de charme. Le charme était en eux et autour d’eux. Jamais ce pays qu’ils aimaient de leur amour même, ne leur avait paru plus digne d’être aimé.

Ils descendirent au pas — car les pieds des chevaux glissaient sur les pentes lisses de la lande — l’espèce d’escarpement qu’elle avait dans cet endroit, et ils prirent le pont, toujours rêveurs, l’un près de l’autre ; la main de Ryno sur