Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/114

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relever aussitôt de l’autre côté d’un pont en pierres, bâti sur des eaux peu profondes, aliment des fossés voisins. Ces eaux, qui roulaient claires et dispersées sur des cailloux ferrugineux, allaient abreuver une prairie sise auprès des bois de la Taille, ancien Prieuré aux riches dépendances, vendu pendant la Révolution, et dont les fermiers avaient fait un établissement d’eaux thermales. Hermangarde et Marigny apercevaient à leur gauche les cimes dépouillées de ces bois éclaircis, et, au travers de leurs branches brunes, la maison et les tourelles du Prieuré. En face du pont, une grande route, incrustée dans la pente, s’élevait en se tordant vers Barneville, dont la tour couronnait l’horizon, dentelé par les noires cheminées du bourg. À droite, une haie épaisse bordait la route, et le sol s’affaissait tout à coup, autant qu’il surplombait de l’autre côté. Il était divisé en plusieurs cultures fermées par des haies, et comme par son brusque abaissement il formait une vaste brèche, il offrait, dans une échappée inattendue, — à l’extrémité de Barneville et sur un plan plus reculé, — la perspective de la mer et de ses grèves. Quand le temps était lumineux, on discernait l’anse de Carteret et Jersey lui-même, cette Cyclade vaporeuse de la Manche. Ce jour-là, on ne les voyait pas. Le ciel, tout nuage, ressemblait à de la nacre ternie.