Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cœurs ! — les avait rapprochés l’un contre l’autre, en se retirant d’entre eux deux. Et si ce n’était pas vrai pour leur amour, car leurs cœurs pouvaient-ils adhérer davantage ? c’était au moins vrai pour leur vie intime, qui allait se redoubler de solitude. Il n’y a qu’une atmosphère où l’amour n’étouffe pas, c’est la solitude. Comme les aigles auxquels il faut les immensités d’un désert d’azur, l’amour n’a sa largeur et la naïveté puissante de ses mouvements que dans une solitude, immense, profonde, complète ; une empyrée de solitude ! Qui ne le sait pas ? À chaque instant dans les plus douces relations de famille, sous le même toit, ceux qui s’aiment de l’amour le plus légitime et le mieux montré s’aperçoivent qu’ils ne sont pas seuls et c’est une contrainte dont ils souffrent… Sensitives de félicité partagée, ils se crispent sous le regard, même le plus indulgent, et ils retiennent l’épanouissement de leur âme qui tend à s’ouvrir, comme une fleur gonflée que ses parfums vont faire éclater. Les abandons dont on ne saurait se défendre, ces langueurs qui prennent tout à coup, ces irrésistibles envies de laisser tomber son front sur l’épaule aimée, prie-Dieu vivant où les têtes qui aiment s’appuient pour cacher l’extase de l’ivresse ou faire la méditation du souvenir, il faut y résister et les suspendre. Il faut faire avec une faible