Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

âme ce que Dieu ne fait pas dans sa magnifique nature, — car Dieu, qui lance le torrent de la cime du mont dans l’abîme, n’en rompt pas à moitié la courbe étincelante, ne fige pas subitement l’écharpe d’écumes, tout à coup déchirée sous les rayons de son soleil. Ces cruels supplices d’abandon réprimé, le départ des deux douairières en avait délivré les Mariés-Amants. Ils allaient enfin jouir pleinement d’eux-mêmes et cacher tous les mouvements de leur vie dans ces deux profondeurs du neuvième ciel de l’amour : la liberté et le mystère. Pour eux, il ne devait plus y avoir de moments impunis, stériles pour le bonheur, défendus à la caresse. Le collier emperlé des heures fortunées ne se romprait plus ! L’amour qui se révèle parce qu’il n’est pas regardé, infusé dans tous les actes de leur existence, les teindrait de sa pourpre, mouchetée d’or, et les tremperait dans le nard de ses essences les plus parfumées. Ils commencèrent, ce soir-là, de l’éprouver. Ils eurent les aises de leur bonheur. Ils n’étaient point ingrats envers leur mère absente… ils n’étaient qu’épris. Moins épris, ils auraient vu le vide de cette maison où ils étaient rentrés seuls. Ils auraient senti, en face de ce fauteuil où n’était plus madame de Flers, la tristesse de sa départie. Marigny s’y assit, et, prenant sa femme sur ses genoux, il