Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là rien des fiévreuses turbulences, des frissons de flammes empoisonnées et morbides que Vellini coulait jusque dans la moelle de ses os. C’étaient des voluptés de plus haute origine, dans lesquelles l’âme tenait encore plus de place que le corps. Avec ses bandeaux qui ressemblaient à un nimbe d’or, son profil céleste, le bleu velouté de ses yeux et ses manches flottantes, Hermangarde eût apparu à un poète comme un bel Archange qui n’était pas tombé, qui ne tomberait jamais, et à qui Dieu avait permis d’entourer Ryno de ses ailes. Elle épurait tous les désirs, en les inspirant. Revenus dans le salon, qu’éclairait une lampe voilée d’une gaze rose, ils s’étaient placés sur le lit de repos qui en occupait le fond, dans l’attitude voluptueuse et mystique que le peintre a donnée au groupe de Francesca de Rimini et de Paolo, quand ils passèrent devant l’œil du Dante, dans une vapeur mélancolique. Il se fit tard. Leur causerie — cette causerie sur des riens qui sont tout dans la vie du cœur — s’était éteinte dans des baisers qui eux-mêmes s’étaient éteints sur leurs lèvres en s’y prolongeant. Ils n’entendaient plus que le battement de leurs artères et la mer, — cette Veilleuse éternelle, comme Dieu, son maître, — qui brisait mollement contre le talus des murs du manoir ses flots assoupis.