Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/130

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Un cri perçant vibra dans le vaste silence.

— « Quel est ce cri ? » dit Hermangarde surprise et troublée. Ryno lui-même avait tressailli en l’entendant.

— « Ah ! mon Dieu ! serait-ce le Criard, — fit-elle, — dont ils nous parlaient, il y a quelques jours, aux Rivières, chez le pêcheur Bas-Hamet ? Écoutons, » ajouta-t-elle, curieuse.

Le Criard est une superstition de ces rivages. Ils racontent que la veille de quelque tempête, — d’un grand malheur inévitable, — un homme dont jamais personne n’a vu le visage, enveloppé dans un manteau brun et monté sur le dos nu d’un cheval noir, à tous crins, parcourt les mielles[1] et les rochers, en les emplissant de cris sinistres. Ni sable mouvant, ni varech glissant, ni fosse d’eau, ni pics de rochers n’arrêtent le vagabondage rapide de cet homme et de son cheval noir, dont les fers, rouges comme s’ils sortaient d’une forge infernale, ne s’éteignent pas dans l’eau qui grésille et qui fume, noircie, longtemps encore après qu’ils l’ont traversée. Hermangarde, à la fibre poétique, surprise de trouver vivantes, sur une côte écartée de la Normandie, de ces légendes semblables à celles que Walter Scott nous a

  1. Nom qu’on donne aux grèves dans le pays.