Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le large. J’ai passé la nuit sur cette mer glacée, enveloppée là-dedans, » — ajouta-t-elle, en foulant du pied le manteau de toile cirée tombé sur le sol.

Elle parlait avec l’émotion qu’elle mettait à tout, quand elle n’était pas indolente. Chaque mot prononcé par elle, avec son accent étranger, son regard, son geste, mille choses secrètes, invisibles, qui s’échappent des femmes que nous avons aimées, comme des parfums qu’on respira longtemps et qu’on recommence de respirer, tout reprenait Ryno, — comme la mer reprend, pli par pli, atome par atome, avec ses petites vagues, fines comme des hachures, la dune de sable qu’elle finit bientôt par couvrir. Il le sentait bien ; il n’y consentait pas ! Cet homme d’un grand cœur se débattait contre les influences qui le cernaient. Il se roulait comme le lion dans un filet de soie, et comme le lion, il voulait en finir d’un seul coup.

— « Vellini, — dit-il à son ancienne maîtresse, avec un accent solennel, — m’as-tu vraiment aimé ?…

— Et il le demande ! — fit-elle avec un regard ébloui d’étonnement, comme s’il avait nié le soleil lui-même, le soleil qui se leva enfin de son banc de nuages et dont les rayons coururent sur la mer, en y semant des plaques de lumière.